La France et son destin



Dans notre société laïcisée et insensible à son passé lointain, le rapport entre la France et le catholicisme s'est considérablement affaibli. On reconnaît à ce dernier une antériorité historique et une persistance dans les mentalités encore sociologiquement perceptible, comme le prouve l'écart entre l'affirmation de la foi catholique et la pratique cultuelle.

Dans ce contexte, l'expression séculaire de « France, fille aînée de l'Eglise » tend à perdre de plus en plus son sens. Cela fait longtemps que la France n'est plus la nation catholique la plus peuplée. Le Brésil et le Mexique, pays marqués par une grande ferveur religieuse, sont démographiquement plus puissants et dynamiques. Certains pays d'Afrique Noire, en particulier d'Afrique francophone, demeurent profondément ancrés dans le catholicisme, en dépit de la progression de l'Islam. En Allemagne et en Autriche, le catholicisme est plus vivace qu'en France. La lointaine Australie, pour sa part, est même catholique dans sa grande majorité. Aux Etats-Unis, 40% de la population se réclame du catholicisme, et ce pays, connu pour son dynamisme dans tous les domaines, se signale aussi par l'excellence de ses théologiens et de ses institutions religieuses, en dépit des tristes scandales qui l'ont récemment frappé. Désormais, l'anglais se répand de plus en plus au Vatican et dans l'enseignement religieux, pendant que le français perd du terrain. Face à ce mouvement généralisé de développement et de progression de la foi catholique, la France, ici comme ailleurs, est à la traîne, et même en repli, en brimant toujours davantage les libertés religieuses au nom d'une conception étroite et ubuesque de la laïcité.

Il fut un temps bien oublié, pourtant, où la France était le centre vivant du catholicisme, envoyant au loin missionnaires et religieuses, fondant des ordres religieux et monastiques, défendant l'Eglise par les armes et les lettres et lui donnant certains de ses plus grands saints. C'est la Sorbonne de Paris qui a véritablement inventé l'universel, au sens 'catholique' du terme, avant que le terme, à l'époque actuelle, dégénère en une pure sentimentalité formelle et creuse. C'est en raison de son catholicisme que les nations de la terre avaient les yeux tournés vers elle, son fameux 'rayonnement' étant indissociable d'une religiosité aujourd'hui perdue. La France est pareille à Adam qui, avant sa chute, reflétait la gloire de Dieu et la répandait dans tout l'univers. De même que lui, elle s'est écartée de son Créateur par les soupçons insinués par le Serpent des origines, pour tomber ensuite dans l'orgueil et le jeu déréglé des passions. Il n'est pas impossible qu'elle se repente un jour, plie le genou devant le Seigneur, pleure les erreurs qui ont défiguré sa face et se relève pour retrouver son vrai rang..

Depuis les origines de l'histoire de France, court l'idée que la France a un rôle prédestiné au service de Dieu et Lui doit toute son attention. Ce n'est nullement de nationalisme dont il s'agit, puisque pareille élection est le fait du Ciel et non de la France elle-même. Lorsque le coeur de la France était en Dieu, son créateur, elle transmettait à l'univers tout entier Son amour et Sa doctrine; elle n'était pas rayonnante d'elle-même mais ne faisait que répandre ce que Dieu lui avait donné. Lorsque l'orgueil naquit en son coeur, peut-être sous Louis XIV, peut-être avec les Lumières, sûrement avec la Révolution Française, elle s'appropria les dons de la grâce et de son histoire, dons qu'elle crut procéder de son génie propre et s'arrogea un rôle directeur contraire à la volonté du Père et prétendit légiférer d'elle-même pour toute l'humanité. C'est dans ce mouvement qu'elle inventa le tristement célèbre nationalisme, non que l'attachement naturel et légitime à la patrie soit à rejeter, bien au contraire, ou que les autres nations ni elle-même n'avaient jamais eu des intérêts bien compris, mais qu'il s'agit là d'une révolte toute métaphysique contre l'unique souverain législateur, où un peuple s'érige de lui-même en absolu et source de toute valeur. Les autres nations s'empressèrent de suivre son exemple, précipitant l'humanité dans l'abîme de la destruction.

Depuis lors, ayant refusé tout reconnaissance avec son Père, la France s'amenuise, se rétrécit et s'étiole. Dans tous les domaines, la chute est visible; non pas en valeur absolue, mais relativement au progrès des autres nations. Troisième puissance démographique du monde en 1800, la France se voit reléguée vers le vingtième rang. Première langue de civilisation il y a deux siècles, le français est maintenant moins parlé que le portugais, l'indonésien ou le japonais. Affaiblie par les guerres contre l'Allemagne, s'adaptant difficilement et par à coups à la civilisation moderne, noyée dans une Europe qui s'élargit de plus en plus, sclérosée par des structures politiques et sociales rendant difficile toute réforme, elle sent confusément l'avenir lui échapper, lui laissant une lointaine nostalgie de sa gloire passée et de sa mission civilisatrice.